الحمل والطفل



M. Jourdain est un bon bourgeois enrichi qui, oubliant son origine obscure, enrage de n’être pas gentilhomme ; mais il ne désespère pas de le devenir et veut du moins s’en donner tous les airs. Il met sa gloire à se mêler à la noblesse et à imiter les grands seigneurs. Comme il est fier de sa robe de chambre d’indienne, de son haut-de-chausse de velours rouge, et de sa camisole de velours vert ! « Je me suis fait habiller comme les gens de qualité », dit-il avec complaisance. On lui dit que les gens de qualité savent la danse, la musique, l’escrime et la philosophie, et vite, il fait appeler des professeurs, qui ont tous le ridicule de leur métier. Le musicien prétend que l’ignorance de la musique est la cause de toutes les guerres « La guerre, dit-il, vient d’un défaut d’harmonie entre les hommes ; qu’ils apprennent la musique, et l’on ne verra plus de guerres. » Le danseur soutient que la danse est le premier de tous les arts. « C’est parce qu’on ne sait pas la danse, dit-il, qu’on fait des sottises, c’est-à-dire des faux pas. Apprenez la danse et vous ne ferez plus ni faux pas ni sottises. » Le maître d’armes est un ferrailleur dont tout le mérite consiste à donner et à ne point recevoir. Il se charge de tuer son adversaire par raison démonstrative, ce qui est fort du goût de M. Jourdain. « De cette façon, dit-il, on est sûr, sans avoir du cœur, de tuer son homme, et de n’être point tué. »
Sur ces entrefaites, arrive le philosophe, qui les trouve tous bien impertinents de vanter ainsi leurs misérables métiers de gladiateur, de chanteur et de baladin. « Rien n’est comparable à la philosophie, dit-il, c’est elle qui nous enseigne à modérer nos passions. » Le maître d’armes lui allonge quelques coups de fleuret, et le philosophe se met en colère. Après le départ de ses confrères, il demande à M. Jourdain ce qu’il doit lui enseigner, et il lui offre successivement la logique, la métaphysique, la morale, la physique. « Tout cela est trop rébarbatif, dit le bon bourgeois, il y a trop de tintamarre là-dedans, trop de brouillamini. — Que voulez-vous donc que je vous apprenne ? — Apprenez-moi l’orthographe puis vous m’enseignerez l’almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n’y en a pas. » Il y a peu de scènes aussi gaies. Celle des teneurs n’est guère moins divertissante. M. Jourdain paie les titres qu’on lui donne, et il met le comble au ridicule en avouant qu’il les paie. « Voilà pour mon gentilhomme, dit-il, voilà pour le monseigneur, et voici pour ma grandeur. Ma foi, ajoute-t-il, s’il va jusqu’àl’altesse, il aura toute la bourse. »
Être gentilhomme est pour M. Jourdain le comble de la félicité et il donnerait, dit-il lui-même, deux doigts de sa main pour avoir ce bonheur. Aussi est-il très flatté de l’amitié que lui porte Dorante, gentilhomme de la cour qui, connaissant le faible du bonhomme, lui soutire, à titre d’emprunts, le plus d’argent possible.
M. Jourdain s’est mis dans l’esprit, comme tous les grands de l’époque, de faire l’aimable auprès d’une dame de haut rang. Le comte Dorante lui conseille, pour s’attirer les faveurs de la dame, de lui envoyer un beau présent ; le bon bourgeois s’empresse de suivre cet avis, et le comte, qui doit remettre le cadeau, le remet en effet, mais comme venant de lui. C’est pour cette dame qu’il prie son maître de philosophie d’écrire un billet tendre qui ne soit ni en vers ni en prose, tellement il veut qu’il soit de bon goût ; et il découvre avec étonnement que depuis trente ans il fait de la prose sans le savoir.
M. Jourdain a une fille qu’il ne veut marier, cela va sans dire, qu’à un homme de bonne maison. Il refuse un jeune homme, nommé Cléonte, parce qu’il n’est pas noble. « Êtes-vous gentilhomme ? » Telle est !a première question que M. Jourdain lui adresse. Il veut que sa fille soit marquise. Pour parvenir à ses fins, le prétendant se déguise et se présente comme le fils du grand Turc qui vient demander la fille de M. Jourdain en mariage. Celui-ci, trop heureux d’une telle alliance, consent à se faire mahométan pour avoir l’honneur d’être le beau-père du fils du grand Turc. Les jeunes gens se marient, et quand le mariage est consommé, M. Jourdain s’aperçoit qu’il est puni, mais trop tard, de son sot orgueil.

 
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